Selin'Ah

Je cours.
Mon souffle s'échappe à grandes vapeurs d'entre mes lèvres.
Mes muscles sont en feu et ma vision commence à se brouiller.
Je ne peux pas m’arrêter.
Je ne dois pas.

Pourquoi moi ? Qu'ai-je fait pour mériter ça ?


J'étais tranquillement en train de voyager vers le grand nord. Je devais remonter vers l'Hyperborée. Je le sentais dans toutes les fibres de mon âme et de ma chair. Pourquoi l'Hyperborée ? Il semblerait que je ne le saurais jamais. Toujours était-il que mon voyage se passait plus que tranquillement alors que le monde était en ébullition depuis pas mal d'années. Je venais tout juste de pénétrer une grande vallée quand derrière moi j'entendis de grands cris. Je me retournais. Peut-être aurait-il mieux valu que je ne le fasse pas. Ça m'aurait évité de voir cet enfoiré de Kashkamès fondre sur moi à la tête de sa horde de vampires. Fut une époque, j'étais tombée amoureuse de ce vampire séduisant et puissant. J'avais bien compris mon erreur quand, après des années de tentatives de séduction, il avait posé ses yeux sur moi. Ce soir là je l'avais pratiquement émasculé. J'étais encore une jeune vierge croyant aux contes de fées. Ce soir là, j'avais appris que les contes ni les fées n'existaient. Du coup, il m'en tenait une sacrée haine. Qu'y-pouvais-je si sa capacité de régénération ne lui avait permis de ne voir qu'une seule de ses couilles repousser. Et là au milieu de nulle part il surgissait. Il avait attendu son moment. Celui où je serais seule et sans recours. Ma seule chance était de tenir jusqu'au levé du soleil, autant dire que la course risquait d'être longue. Bien sur j'étais armée mais je ne ferais jamais le poids face à une dizaine de vampires dont un ancien. Tant pis. J'avais commencé à courir et je forçais pour conserver mon avance. Je me concentrais sur ma respiration et mes foulées. Obligeant mon corps à un exercice physique auquel il n'était vraiment pas habitué.


Ça brule.
Mon souffle se fait de plus en plus court.
Mes yeux me brûlent mais là-bas au loin j'aperçois de la fumée.
Il faut que je me concentre.
Il en va de ma vie là.
J'ai pas envie d'être torturée jusqu'à ce qu'il trouve mon point faible.

Je sens qu'ils me talonnent presque.
Je puise dans mes dernières forces pour me propulser à une vitesse surnaturelle jusqu'à la prochaine montagne.
J'entends un cri rageur dans mon dos.
Kashkamès ne me connait pas si bien que ça apparemment.
Alors que je grimpe à toute allure le versant de la montagne, la terre se met à trembler sous nos pieds.
Je suis plus la seule à courir pour sa vie.
Néanmoins cette fois ci je prie ma mère de me sauver.
Elle avait jamais été du genre maternelle mais si elle devait se découvrir la fibre, c'était le moment.

Les nuages s’amoncelaient das le ciel et la pluie commença à tomber. C'était vraiment mais vraiment pas le moment. L’ascension allait être ardue. Déjà mes bottes en cuir étaient maculées de boue et je dérapais fréquemment me rattrapant comme je le pouvais. Un éclair s'écrasa non loin sur ma gauche et malgré la pluie l'herbe s'embrasa. Ça sentait vraiment le roussi. D'ailleurs une bourrasque me ramena une odeur de cochon grillé aux narines et j'aurais pu parier avec Hermès qu'il s'agissait d'un vampire.

La fumée avait disparu de mon champ de vision mais je continuais à grimper. J'étais à bout de force mais je ne doutais pas que mes poursuivants devaient l'être aussi. La pluie était maintenant torrentielle, la terre tremblait comme jamais, le vent était si fort que mes cheveux ne savaient même plus comment voler et le feu ravageait la moindre parcelle combustible.

Tout à coup, j'entendis une énorme explosion et je compris que la baraque sur laquelle je comptais venait de disparaître. Un grand éclat de rire me parvint très étouffé. Kashkamès était toujours sur mes traces. Tant pis. Il ne me restait plus qu'une chance : grimper au dessus des nuages pour faire geler le sang des vampires à haute altitude. La raréfaction de l'air me prenait aux poumons mais je devais atteindre sans plus attendre la masse sombre et ténébreuse.


Je traversais les nuages comme un monde irréel, esquivant la foudre mais m'en tirant quand même avec quelques cheveux brûlés et un bras sévèrement endommagé. Enfin je me propulsais au-dessus de cette nébuleuse. Bientôt je ne pourrais pas aller plus loin.

Je reprenais mon souffle en admirant la beauté de ce ciel tumultueux qui s'étalait à mes pieds. Je frissonnais en ne
voyant pas de fin à ces nuages sombres. C'est alors que jaillit Kashkamès.

- Tu croyais m'échapper Selin'Ah ?

Je haussais les épaules.

- Ce que je croyais a-t'il encore de l'importance ?

La montagne trembla furieusement et nous luttâmes pour ne pas tomber, ne pas se montrer faibles.

- Je vais te blesser suffisamment pour trouver comment te tuer. Tu le sais ça.

Un rictus mauvais se dessinait sur les belles lèvres du vampire. Malgré moi, ça me faisait de l'effet. Je le voyais s'avancer de son pas de prédateur si séduisant. Il fallait que je bouge. Il allait me tuer. Mais en-avais-je envie ? Il etait quand même à croquer. Je me connectais à ses pensées et là je lis ce qu'il prévoyait de me faire. Même pas besoin de forcer. Ca faisait tellement longtemps qu'il en rêvait. Je frissonnais et ça me sorti de ma transe.

- Tu m'auras pas comme ça Kashkamès.

Je dégainais mon épée. Je connaissais les basiques mais j'allais me faire étaler et je le savais.

- Tu veux jouer dans la cours des grands Seli-chérie ? Allez pose ton cure-dent tu vas te faire mal.

Je serrais les dents. Il savait que j'étais une piètre combattante mais j'allais quand même pas me laisser massacrer sans réagir.

- Sérieux tu veux pas qu'on fasse la paix ? C'est du passé nous deux, faut avancer, passer à autre chose !
- Ça te dis de vivre avec un seule sein pour le reste de l’Éternité ?

A peine avait-il posé sa question qu'un rayon de soleil apparut. L'aube. L'aube. Mon seul et unique espoir de survie.

- Désolée mon chéri mais je crois que je vais garder ma poitrine en un seul morceau, toi par contre...

Kashkamès se transforma alors en torche vivante, je regardais mon premier amour tomber en cendre et versais une larme sur lui.

Je restais là longtemps à me reposer. J'avais besoin de reconstituer mes forces et de guérir mes blessures.


La nuit tomba et ma mère posa son œil sur moi :

- Ne descend pas encore mon enfant. Dans trente neuf jours et trente neuf nuits tu pourras repartir sur terre.

Je ne comprenais pas encore mais j'obéis.